-
En suivant les exploits de Nicolas Vanier, aventurier et explorateur français du Grand Nord, j'ai gardé en mémoire un de ses leitmotivs : "Mieux vaut vivre ses rêves que rêver sa vie". A chaque fois que je pars, je m'efforce de mettre ces sages paroles à exécution et la Patagonie répond dans mon imaginaire tout à fait à cette attente personnelle en tant que destination "sauvage" où la nature règne en maître. Me voilà ainsi parti en cette fin du mois de mars 2011 aux confins du monde pour mes premiers pas en Amérique. D'Ushuaia au Perito Moreno en passant par la Terre de Feu, les estancias, les fjords chiliens ou les Torres del Paine, c'est une véritable immersion dans ce nouveau continent que j'ai pu vivre pendant 15 jours, immersion facilitée et renforcée par la bonne compréhension de l'espagnol.
votre commentaire -
Dimanche 20 mars 2011
Après une escale à Madrid et une demi-journée de vol à bord d'un avion d'Aerolineas Argentina, nous (je voyage avec un groupe) atterrissons en début de matinée à l'aéroport international Ezeiza de la capitale argentine, Buenos Aires. Celui-ci se trouve à 35km du centre mais Eugénie, la guide locale, nous récupère pour le transfert et pour nous déposer à l'hôtel. Nous y retrouvons les deux derniers membres de notre groupe qui sont arrivés un peu plus tôt. Buenos Aires est une ville de 3 millions d'habitants située au nord-est du pays. Nous allons la visiter pendant une journée avant que le "vrai" voyage ne démarre demain en Patagonie.
La fourgonnette est progressivement absorbée par une mégalopole tentaculaire. En plus des habitants de la capitale (les porteños), 10 millions de personnes vivent en banlieue soit environ un tiers de la population totale du pays. De part et d'autre de la voie d'autoroute s'étendent de vastes bidonvilles ou quartiers pauvres où s'entassent les immigrants venus de Bolivie, d'Uruguay, du Paraguay ...
Buenos Aires s'étend sur 200km² et comporte quelques 47 quartiers empruntant souvent le patronyme de leur principale église. Le saint patron de la ville est St Martin de Tours. Selon la légende, les fondateurs de la ville se réunirent en 1580 pour choisir un saint protecteur. Un premier tirage au sort donna St Martin de Tours. Un tel nom à consonance fort peu hispanique fut rejeté et un second tirage au sort eu lieu. Mais le nom de St Martin ressorti une seconde fois et il devint ainsi patron de la capitale argentine.
Parvenus dans le centre-ville, nous sommes marqués par les déchets qui jonchent les rues. Notre guide les justifie par l'absence de passage des éboueurs le dimanche. Un autre élément plus agréable attire l'attention : l'omniprésence de la verdure. La plupart des rues sont bordées d'arbres. Nous sommes déposés à l'entrée de l'hôtel dans le quartier de Recoleta ainsi nommé en l'honneur des frères Récollets, des religieux proches de St-François, installés dans la zone au début du XVIIIème. Après avoir déposé les bagages, nous partons immédiatement pour une découverte express de la ville.
La première halte est marquée sur l'avenue du Président Figueroa Alcorta au pied d'une structure d'acier et d'aluminium pour le moins originale : la Floralis Genérica.
(cliquer sur les images pour les agrandir)
Cette sculpture domine la place des Nations Unies du haut de ses 20 mètres. Cette oeuvre de l'architecte argentin Eduardo Catalano pèse 18 tonnes et peut être mise en mouvement par un système hydraulique et des cellules photovoltaïques. Ainsi, les pétales s'ouvrent tous les matins à 7h30 et se referment à 20h30. Lors de jours exceptionnels comme Noël, la fleur reste ouverte pendant 24 heures d'affilée. Sur un des bords de la place, un bâtiment de type soviétique se dresse : la fac de droit. En argentine, l'accès aux études supérieures est gratuit pour tous.
Nous couvrons ensuite le quartier de Palermo dans notre minibus. Il s'agit d'un quartier cossu où vivent les intellectuels (avocats, journalistes, hommes politiques et personnel diplomatique) et les artistes (producteurs de cinéma, acteurs ...). Les habitations sont plus bourgeoises. C'est le plus grand quartier de la capitale.
Un peu plus loin, nous atteignons la Place d'Iran et sa colonne de Perséopolis, un don du régime des Mollahs.
Le dernier arrêt avant la première visite concerne un monument sur l'avenue du Libertador dédié à Evita Peron, la femme d'un ancien Président qui a beaucoup agit envers les pauvres. Aussi fait-elle l'objet d'une grande affection dans son pays.
A proximité, un arbre au tronc enflé que notre guide qualifie d'arbre bouteille car il stocke l'eau. La femelle donne des fleurs roses tandis que le mâle donne des fleurs blanches.
Notre première visite nous conduit dans le cimetière de Recoleta, pendant argentin de celui du Père Lachaise à Paris. Créé en 1822 à partir de l'ancien jardin potager de l'église del Pilar, il s'étend aujourd'hui sur 6 hectares et abrite quelques 5000 tombes. Pour la plupart, il s'agit de personnes célèbres ou de familles de haut rang (politiques, militaires ...). Les caveaux sont tous monumentaux. Souvent une baie vitrée permet d'apercevoir l'intérieur : une rangée de cercueils ou un escalier étroit descendant dans le caveau. Une partie de ces sépultures n'est plus entretenue aujourd'hui faute de moyens financiers suffisants mais l'usage veut que la concession demeure entre les mains de la même famille tant qu'il reste des descendants encore en vie et quel que soit l'état du tombeau. Suite à la crise économique, certaines personnes ont toutefois décidé de céder leur caveau pour renflouer leur caisse, voire de pratiquer un étrange commerce : un tombeau peut être loué le temps d'un enterrement pour la modique somme de 70 000 pesos ! C'est un moyen pour les locataires d'intégrer la haute société portenienne mais à condition de libérer les lieux le lendemain.
Nous avons marqué une halte plus prononcée face à deux tombes :
- La première est celle de Rufina Cambaceres qui a eu une catalepsie (perte de motricité, la personne reste dans sa position d'origine). La croyant morte, son entourage l'a faite enterrer. Lorsqu'elle retrouva ses capacités, elle était sous terre mais a tout de même réussi à refaire surface au cours d'une nuit. Malheureusement pour elle, le cimetière était fermé à cette heure et elle finit par mourir pour de bon. Son corps fut retrouvé le lendemain.
- L'autre tombe est celle d'Evita Peron dont le corps a été embaumé pour être disposé plus tardivement dans un mausolée qui n'a jamais été construit. Elle a également bénéficié d'un hommage national sans être Présidente. Sa dépouille a également beaucoup voyagé jusqu'en Europe pour la protéger de factions rivales qui se disputaient les rênes du pays. C'est pour cela que la plaque indique Duarte et non pas Peron.
Nous poursuivons par une autre institution de Buenos Aires, la café Tortoni qui a été ouvert ses portes en 1858. L'intérieur est pompeux avec colonnes de marbre et plafonds en stuc ou en vitrail, les photos des personnalités qui l'ont fréquenté ou encore un petit théâtre aménagé.
La majeure partie de la ville ayant été parcourue en minibus, je mets de côté pour le moment les principaux sites que nous avons vus ensuite pour deux raisons : les décrire ici alors que nous ne les avons vus que superficiellement me paraît déplacé et nous sommes revenus à Buenos Aires en fin de séjour, j'ai pu à ce moment-là parcourir plus longuement à pied ces différents lieux. Je me limiterai donc pour finir la description de la matinée aux deux derniers lieux que nous avons découverts : la Place de Mai puis le quartier de la Boca.
La Place de Mai abrite plusieurs édifices de premier plan de la capitale. C'est là que se réunissent les Mères de mai pour tenter d'obtenir des nouvelles sur le devenir de leurs fils disparus sous la dictature. Elle est par contre occupée au moment où nous la découvrons par les anciens combattants des Malouines qui souhaitent une revalorisation de leur pension. Elle est bordée à l'ouest par la Casa Rosada, le Palais de la Présidence pendant la semaine. Le week-end, la Présidente se rend en effet à El Calafate, notre dernière escale en Patagonie. Ce Palais est construit à l'emplacement d'un ancien fort de Buenos Aires sur un site choisi par Juan de Garay, un des fondateurs de la ville.
Au sud, la cathédrale Metropolitana dont la construction démarra en 1753 et qui est renommée pour abriter le mausolée du général San Martin, le père de l'indépendance argentine. Après avoir passé une partie de sa vie en Espagne, il s'est éteint en France à Boulogne-sur-Mer.
Enfin, le dernier édifice d'intérêt est la mairie de Buenos Aires qui mélange les styles : colonial et européen, religieux et administratif...
Du centre historique de Buenos Aires, nous gagnons un quartier pour le moins atypique du sud de la ville : (la République de) la Boca. Son essence se résume à quelques rues aux façades multicolores dont Caminito en est le point d'orgue. Aux alentours, tous les restaurants proposent des démonstrations de tango pour attirer le chaland. La Boca est un quartier italien pauvre et le berceau du tango, né dans une de ses rues au siècle dernier.
La visite guidée se termine là. Nous sommes redéposés à l'hôtel et libres d'organiser l'après-midi comme bon nous semble. Nous déjeunons d'une première viande argentine. Cependant il convient de signaler que celle de la capitale n'a que peu à voir avec celle de la Patagonie que nous allons découvrir d'ici quelques jours. Nous nous scindons ensuite en plusieurs groupes entre ceux qui veulent ou doivent se reposer et ceux qui souhaitent continuer l'exploration de la ville. C'est un peu pour ça qu'on est là après tout, non ?
Nos pas nous mènent dans un premier temps au pied du cimetière de la Recoleta où se tient un marché aux puces dominical et où les habitants du coin viennent se détendre. De l'autre côté de la chaussée se dresse la statue d'un ancien Président, Alvear, qui dirigea l'Argentine pendant une période particulièrement prospère.
En longeant l'immense avenue del Libertador, nous parvenons ensuite à la Tour Monumentale. Son ancien nom de Tour des Anglais fut changé suite à la guerre des Malouines.
Accablés par la chaleur et la soif, nous reprenons enfin la route de l'hôtel. Toutefois, l'heure n'étant pas encore suffisamment avancée, nous repartons à trois pour un extra et poussons jusqu'à l'église Nuestra Señora de Guadalupe.
La première journée se termine sur cette dernière promenade. Cependant, force est de reconnaître que pour moi elle n'était qu'une transition en attendant notre vol pour la Patagonie demain matin. Le véritable voyage, celui qui m'a conduit si loin, ne fera alors que commencer.
votre commentaire -
Lundi 21 mars
Aujourd'hui, j'ai un rendez-vous : rendez-vous avec une ville magnifiée inconsciemment par mon imaginaire. Je m'attends à retrouver le style des habitats d'Europe du Nord chatoyant de couleurs et entièrement en bois. Avant le voyage, je n'ai pas souhaité regarder de photos pour garder toute la surprise en débarquant sur place. Qu'en sera-t-il d'ici quelques heures ?
Cette journée commence tôt : à 5h, vol intérieur oblige. Nous sommes lundi matin et nous devons atteindre l'aéroport local avant les bouchons du début de semaine. Pour les vols intérieurs, on change d'aéroport : cette fois c'est Jorge Newbery pas très loin du centre-ville et en bordure de l'océan.
J'ai la chance de décrocher un hublot pour les trois heures de vol à bord de l'avion de la compagnie Air Austral. Le temps étant dégagé, je vais pouvoir m'en mettre plein les yeux. Après avoir quitté le plancher des vaches, l'avion entame un large virage au-dessus de Buenos Aires, nous permettant de mieux apprécier l'étendue de la mégalopole. Nous pouvons également distinguer très nettement l'avenue du 9 juillet, la plus large au monde avec ses 144m et sa dizaine de voies de circulation !
Le paysage devient rapidement rural avec d'immenses pâturages ou cultures tantôt délimités par une ligne d'arbre, tantôt sans séparation apparente. Les chaussées se font rectilignes sur des étendues sans borne. Eugénie nous a d'ailleurs prévenus hier qu'un des risques sur les routes argentines était l'endormissement, notamment dans l'ouest, où la longueur des lignes droites n'a d'égale que l'uniformité du paysage.
Au bout de quelques temps, nous finissons par survoler la péninsule Valdez, lieu où l'on peut assister en fin d'année calendaire à la reproduction et au passage des baleines australes et à la chasse des orques. Pas de regret pour ma part puisque ce n'est pas la saison et que l'endroit est assez isolé géographiquement des autres sites de premier plan. Le survol nous permet en outre d'avoir un aperçu assez exhaustif de sa diversité de paysages : deux grandes salines dont l'une se situe à 42m sous le niveau de la mer, deux océans de dunes, de vastes plages et de très hautes falaises ...
Encore plus au sud, la forêt refait son apparition dans un paysage vallonné. Rapidement, un immense bras de mer coupe la terre en deux : nous survolons le Détroit de Magellan et quittons le continent américain pour entrer en Terre de Feu. Autant de noms qui là encore ont une connotation magique dans mon esprit. J'étais loin de m'imaginer il y a quelques mois alors que je lisais le récit de Pigafetta sur le premier tour du monde que d'ici si peu de temps, je pourrais parcourir du regard les mêmes étendues sauvages que ces marins-explorateurs émérites. Et maintenant, j'y suis !
Ce déplacement aérien se termine par le survol d'Ushuaia puis de sa baie. Terre et eau s'y entremêlent et l'automne y attaque la métamorphose de l'environnement.
Etrange que de commencer ce voyage par la fin, bout de la terre et de la route, confins d'un pays de plus de 3000km de long. Et c'est de là que nous partons pour rallier notre point de départ d'ici une dizaine de jours : Buenos Aires. Nous sommes en quelques sortes dans une sorte de pellicule déroulée à l'envers où vont se succéder les longues lignes asphaltées, la culture gaucho, la pampa, les Parcs Nationaux et les glaciers mais aussi de belles rencontres. La ligne de départ est juste là, il suffit simplement de faire un seul pas pour sortir de l'avion et fouler cette terre tant mythifiée.
A la sortie de l'avion justement, nous faisons connaissance avec Lorena, la personne chargée de nous faire découvrir les terres patagonnes. Elle est accompagnée de Patricia, une guide locale et de Daniel, un des trois chauffeurs les plus attachants du voyage à mes yeux.
La ville d'Ushuaia est blottie au pied de hauts reliefs et surplombée par le glacier Martial (pour les fans du genre, c'est là que s'est tenue l'arrivée de Pékin Express il y a un an). Au dernier recensement, en octobre 2010, elle comptait un peu moins de 60 000 habitants. Mais nul ne peut parier sur une telle taille en balayant la ville du regard, et pour cause puisque de nombreux vallons cachent une partie de la cité aux yeux des touristes y débarquant. En langage indigène, Ushuaia signifie "baie pénétrant vers l'ouest". Aujourd'hui, l'activité économique repose sur une poignée de secteurs : l'administration publique est le principal pourvoyeur d'emplois devant le tourisme saisonnier entre septembre et mars. Le port est également actif premièrement, pour la pêche de gros notamment le centolla ou crabe royal et le merluza negra, ensuite, pour les croisières qui partent vers l'Antarctique et enfin, pour le transit de marchandises : les containers en provenance d'un océan y sont déposés avant de partir sur l'autre à bord de nouveaux navires.
Nous gagnons alors le centre-ville en 10 minutes. Ushuaia ressemble bien aux villes nordiques mais ses maisons présentent divers styles architecturaux : de la maison de bois à celle de tôle ou de brique. La vie touristique s'organise essentiellement autour d'un seul axe : la calle San Martin où se bousculent les magasins d'équipements de montagne et de trek ou de photographie et vidéo. Le plan de la ville est en damier; par contre, les rues présentent un point commun avec San Francisco dans la mesure où elles sont fortement pentues.
Le repas de midi est une fois de plus libre. Nous optons donc pour un tenedor libre c'est-à-dire un buffet libre-service. Etant le seul à maîtriser modestement la langue de Cervantès après 5 ans sans pratique ou si peu, j'assure la traduction avec le garçon pour expliquer le principe, les plats, le choix des desserts et des boissons. Pourtant, le résultat est très inattendu : pour avoir "amené un groupe", le patron m'offre le repas. J'avoue être encore perplexe devant un tel geste de générosité qui me surprend à chaque fois.
L'après-midi commence par une mission des plus touristiques : aller à l'office du tourisme recueillir le fameux tampon de la ville sur le passeport. Le choix est cornélien entre les 6 modèles différents. Ayant une douanière parmi nous, nous inaugurons également une nouvelle façon de faire du tourisme : nous nous rendons à la douane passer le bonjour à deux fonctionnaires déjà venues en France. Etant à l'aéroport et non en ville, nous prenons rendez-vous avec elles pour 19h. Ce sera hélas un lapin pour cette première mais nous retenterons ailleurs ...
A 15h, nous avons rendez-vous dans le port pour une croisière dans la baie. En quittant la cité, nous débutons la promenade par une remontée dans le temps en découvrant le bagne d'Ushuaia. Aujourd'hui devenu un musée, c'est autour de lui que s'est constituée la ville. Mais j'y reviendrai plus longuement un peu plus loin.
En gagnant le large, la vue se fait plus globale. Au-dessus de la ville, on aperçoit bien la masse blanche du Glacier Martial. Celui-ci est pourtant distant de 7 km de la cité. Par ailleurs, durant l'hiver austral, une piste de ski est aménagée sur ses flancs un peu en aval.
Le cours d'eau sur lequel nous progressons se nomme Canal de Beagle. Il fut découvert par Fitz Roy à bord du navire Beagle, nom référant à la race des chiens de la Reine d'Angleterre. A bord de ce bateau, un des naturalistes les plus célèbres : Darwin. Il suit la voie tracée par les expéditions de grandes envergures de Cook et Bougainville. Quant au Canal, il sépare Argentine au nord du Chili au sud. Une fausse rumeur déclare que la ville la plus australe au monde est Ushuaia. Elle est cependant erronée puisque la cité chilienne de Puerto William est encore plus australe. De là où nous sommes, le Pacifique est à 120km à l'ouest et l'Atlantique à 80km à l'est. Enfin, le Cap Horn se trouve encore à 150km au sud. Une famille de l'armée chilienne y est à demeure toute l'année.
Le temps couvert aujourd'hui ne permet pas d'apprécier toute la majesté du paysage, les sommets s'estompant dans les nuages. Je retrouve néanmoins la beauté des fjords scandinaves.
Rapidement nous marquons une escale sur une île où subsistent des traces de présence indigène. Il y a un peu moins de 10 000 ans, le peuple Yamanas prenait possession de la région. Il vivait essentiellement sur l'eau à bord de pirogues et se nourrissait de coquillages et de moules géantes qu'il récoltait en plongeant. Aujourd'hui, on retrouve en plusieurs lieux des fosses avec de nombreuses coquilles ou coquillages, témoignages de leur passage.
Pour ma part, je débute également ma découverte des espèces de lichens dont la variété ne cessera de m'étonner au fil du voyage.
Nous reprenons ensuite la mer jusqu'à l'île des Oiseaux, plutôt un îlot à la densité de peuplement impressionnante. Les cormorans y sont majoritaires mais partagent l'espace avec quelques mouettes et lions de mer.
Un peu plus loin, l'île des Loups de mer (est-ce une mauvaise traduction officielle de l'espagnol ?) présente une diversité de population comparable. Au loin, le temps se gâte et l'horizon se bouche. Ushuaia disparaît peu à peu dans les nuages. D'ici peu, nous allons pouvoir tester l'instabilité du temps patagon.
Enfin, nous achevons la promenade par le Phare des Eclaireurs, ultime sentinelle argentine au sud-est de la baie d'Ushuaia. Du haut de ses 11 mètres, il avertit les navires de la présence de barres rocheuses à cet emplacement.
Sur le trajet qui nous ramène au port, le grain éclate et tout aussi promptement est balayé par le vent. La fin de journée s'annonce à présent dégagée. Le phénomène pluvieux n'aura duré qu'une grosse dizaine de minutes.
Pour se remettre de la morsure du vent, nous nous réfugions dans un café déguster un chocolat offert par la compagnie de navigation. Puis, comme la veille, nous nous séparons tous qui pour aller se reposer, d'autres pour faire quelques boutiques, F. et moi pour aller voir en vain les douanières. Après avoir compris que notre première tentative était infructueuse, nous avons déambulé un peu dans les rues constatant une fois de plus la diversité des styles architecturaux. Personnellement, j'étais loin de m'imaginer un usage aussi répandu de la tôle dans les constructions. Mon fallacieux imaginaire me laissait davantage penser à un plus large recours au bois et je dois avouer que je suis un peu déçu par cet aspect.
Notre promenade se termine devant un panneau kilométrique indiquant la distance entre Ushuaia et de nombreuses villes de la planète. Rien de tel pour se remémorer s'il en était encore besoin que nous sommes ici au bout du monde.
La journée s'achève autour d'une table à déguster un des mets régionaux dont j'ai parlé plus haut : le centolla ou crabe royal. Il s'agit en fait d'une araignée de mer au format XXL. Mais, n'ayant pas l'habitude d'en manger, je ne saurais dire s'il y avait une différence de goût.
votre commentaire -
Mardi 22 mars 2011
Le premier thème de la journée tourne autour de la fondation de la ville d'Ushuaia. La découverte d'un passage par le sud pour contourner les Amériques suscita un engouement de plusieurs nations pour obtenir son contrôle. Face à ce danger, le gouvernement argentin décida d'implanter une colonie puis un bagne pour garantir sa souveraineté sur la région. Les premiers bagnards arrivèrent à la fin du XIXème siècle et durent mener d'ardus travaux manuels pour édifier cet avant-poste. Puis, petit à petit, y furent expédiés des condamnés pour des articles beaucoup plus lourds. La construction de l'établissement pénitencier s'imposa et commença en 1902. Elle dura 18 ans. Pour transporter le bois de construction abattu à quelques encablures de la ville, des rails sur lesquels circulait un train furent mis en place. Les premiers temps, ils étaient en bois et le train était tiré par des animaux. Puis, la voie fut modernisée à la fin de la première décennie. Ce chemin de fer et l'introduction de la locomotive permirent l'approvisionnement en bois de cuisine et de chauffage du bagne ainsi qu'en bois de construction de la cité. La ville se développa peu à peu bénéficiant d'une main d'oeuvre abondante formée dans les ateliers du bagne à tout un tas de corps de métiers : de la boulangerie à la forge, en passant par la charpenterie et le tailleur. Celle-ci aidait les habitants d'Ushuaia qui vinrent progressivement s'installer et dynamisa l'économie locale. Le peuplement de la ville fut enfin renforcé par l'arrivée d'immigrants étrangers (croates, espagnols, libanais ...).
Toute cette histoire se retrouve, par bribes, en deux principaux lieux. D'abord à l'ancien bagne fermé en 1947 et aujourd'hui converti en musée. Seul un couloir a été conservé en l'état, le reste des salles est plus disparate. Ensuite dans le Parc National Tierra del Fuego. Une attraction touristique, "le Train du bout du monde", permet d'accomplir un parcours sur les traces des forçats. C'est avec elle que nous allons débuter notre journée. La station la plus proche se trouve à 8km de la ville juste après le pont sur le Rio Pipo. Cette rivière porte le nom d'un détenu qui a tenté de s'échapper de la zone de travail mais a péri gelé.
Très rapidement, nous arrivons à la station de départ. Nous sommes parmi les premiers à débarquer mais, en peu de temps, des nuées d'autres touristes vont également envahir les lieux. Cette attraction ne m'a pas plu pour cela : trop touristique et donc pas authentique.
Le tracé actuel ne suit que les 7 derniers kilomètres tandis que l'ancien s'étendait sur 25km. Et à la différence de nous, les bagnards ne se déplaçaient pas dans des wagons ultraconfortables mais sur des plateformes à l'air libre ce qui était beaucoup plus dur, notamment durant l'hiver. Notre train finit par s'ébrouer mais la progression est extrêmement lente pour assurer la stabilité sur des rails étroits.
Nous longeons dans un premier temps le Rio Pipo que nous avions traversé un peu plus tôt en venant à la gare. Au bout d'une dizaine de minutes, le train s'arrête à la station de la Macarena et un flot de visiteurs sort de ses entrailles pour les quelques minutes de pause. Deux parcours sont proposés : soit descendre vers le Rio Pipo soit aller voir la cascade de la Macarena. En pressant le pas j'ai pu parcourir les deux.
En commençant par la descente, la nature me donne l'occasion de voir que le froid est mordant ce matin. Il n'y a qu'à regarder cette "oeuvre d'art" naturelle pour s'en convaincre :
Le sentier du bas permet de se rapprocher du Rio Pipo et d'en apprendre un peu plus sur le peuple Yamana. Des panneaux d'information donnent un bref éclairage sur leur mode de vie. Trois huttes et un canoë ont été reconstitués. Pour compléter ce que j'ai dit dans l'article de la veille, je dois souligner que c'est le peuple le plus austral au monde à son époque car il a vécu dans le sud de la Terre de Feu et dans les îles plus australes. Comme c'était un peuple nomade, il privilégiait un habitat léger appelé choza constitué tantôt de troncs, tantôt de racines, de terre et d'algues. Le canoë était le principal moyen de locomotion mais était utilisé avant tout pour longer les côtes. Grâce à lui, ils chassaient par exemple le lion de mer en plus de se nourrir de coquillages et autres mollusques. Ils furent éradiqués en l'espace de 20 ans par les européens qui apportèrent les maladies et s'approprièrent leurs terres si besoin en empoisonnant les indigènes...
Je poursuis l'escale avec le sentier du haut vers la cascade de la Macarena. Elle est visible en deux endroits. Il faut s'imaginer une chute modeste où l'eau rebondie sur les rochers moussus.
Un sifflement donne le signal du départ imminent. La suite du trajet peut être résumée en deux tableaux : une vaste plaine jonchée de souches et une forêt dense de lengas. Les souches témoignent du passage des bagnards et la hauteur variable des coupes s'explique par la présence de neige ou non selon la saison. Quant aux lengas, c'est une essence typique de Patagonie dont je reparlerai ultérieurement.
En fin de trajet, j'ai la malheureuse idée de prendre en photo le machiniste de la locomotive à vapeur. Peu après, je suis imité par de nombreuses autres personnes. Tout ce que je déteste dans le tourisme !
Nous partons alors à la découverte du Parc National de la Terre de Feu. Créé en 1960, il s'étend sur 63 000 hectares (un hectare est un carré de 100m de côté pour information) entre le lac Fagnano que nous allons découvrir plus tard dans la journée et le Canal de Beagle.
En l'espace de quelques kilomètres, nous traversons la forêt puis des rivières courant entre les vallons ou encore longeons la laguna verde. Le franchissement des cours d'eau s'effectue sur des ponts en bois renforcés par une structure en acier. Tout au long de notre parcours, nous en rencontrerons des similaires.
Pour en revenir au Parc, il possède une faune limitée : guanacos et renards roux, 200 espèces d'oiseaux au premier rang desquels l'aigle... De nombreuses espèces ont également été introduites par l'homme comme le renard gris, le lièvre et le lapin ou encore les castors. Pour ces derniers, l'introduction remonte aux années 40 et répond uniquement à des considérations économiques. Cependant, les hommes n'obtinrent pas les retours escomptés dans la mesure où, en raison de l'absence de prédateur, la peau des castors était de moins bonne qualité qu'ailleurs sur le continent. Le commerce périclita rapidement et les castors endommagent toujours l'environnement de par leurs barrages sur les rivières.
Du côté de la végétation, les nothofagus sont bien implantés. Il peut s'agir aussi bien d'arbres à feuilles caduques comme le lenga ou le ñire que d'arbres à feuilles persistantes comme le guindo. Les mousses (lichens) et fougères sont également largement répandues. Enfin, les parasites sont fréquents sur les branches (gui ou boules chinoises) ou les troncs (pains d'indien).
Au bout d'une poignée de kilomètres, le minibus de Daniel se range sur le bas-côté et nous partons pour une courte marche sur le Paseo del Mirador. Nous pouvons voir les différentes essences ci-dessus et, peu avant le mirador, rencontrons un groupe de pics verts à la recherche de nourriture.
Depuis le mirador, la vue sur la baie de Lapataia, magnifiée par une touche automnale, se passe de commentaire :
Lapataia signifie "baie du bois". Elle s'ouvre sur le Canal de Beagle et est entourée de monts, ultimes soubresauts de la Cordillère des Andes : la cordillère de Darwin et le mont Condor. Elle marque également le terme de la Ruta 3, une des deux grandes voies de circulation en Argentine : la Ruta 3 qui relie Buenos Aires par la côte et la mythique Ruta 40, une des plus longues du continent avec ses 4900km de long.
Un dernier petit tour sur des passerelles en bois pour se rapprocher du bord de l'eau et nous repartons en sens inverse vers Ushuaia.
Après une pause déjeuner, nous reprenons la route vers le centre de la Terre de Feu. Nous sommes attendus ce soir dans une estancia, ces grandes propriétés terriennes où sont élevés les ovins ou bovins. En quittant Ushuaia, nous longeons quelques ultimes minutes la baie éponyme, histoire de graver les dernières images de ce bout du monde dans nos esprits. Nous passons également devant une petite zone industrielle. Lorena nous explique que la Terre de Feu a été déclarée zone franche dans les années 80. Des entreprises électromécaniques sont ainsi venues s'implanter sur place pour être dispensées des 21% de taxes.
Nous parvenons ensuite dans les environs du Cerro Castor. A l'instar du glacier Martial, il possède une piste de ski enneigée d'août à septembre. Diverses équipes internationales (France, Suisse, Autriche, Etats-Unis) viennent y retrouver des conditions idéales pour s'entraîner durant la coupure estivale dans l'hémisphère nord.
La route s'élève légèrement pour franchir le Paso Garibaldi à 400m d'altitude. Juste après le passage du col, un dégagement de la route permet de contempler le petit lac Escondido et son voisin l'immense Fagnano (au fond).
Sur la route, nous rencontrons les premiers guanacos, camélidés apparentés aux lamas. Par contre, les guanacos sont sauvages et vivent en totale liberté. L'homme ne le chasse pas pour sa propre consommation, rarement pour celle de ses chiens. Il n'a donc pas de prédateur ici alors que sur le continent, il constitue un met de choix pour les pumas.
Le voyage se poursuit avec la traversée de vastes plaines où la quantité d'arbres morts est effarante. Les patagons sont toutefois partisans de laisser la nature livrée à elle-même : ils ne chassent pas ses animaux sauvages et laissent au sol le bois mort ou abattu par les vents. Dommage que cette vision des choses ne soit pas plus largement partagée de par le monde, la nature et l'homme en tireraient grands bénéfices.
Nous quittons soudainement la Ruta 3 et nous engageons sur une piste pour gagner l'estancia. Chemin faisant, Lorena nous invite à découvrir le mate. Il s'agit d'une tradition très fortement implantée dans le pays. C'est une boisson qui se consomme dans une petite calebasse. Celle-ci est remplie de feuilles puis on y verse de l'eau brûlante et on laisse infuser quelques instants. Le liquide est bu au moyen de la bombilla, autre ustensile indispensable équivalent d'une paille métallique avec un filtre à son extrémité. Le goût est amer et, de mon point de vue, laisse en bouche un arôme d'artichaut.
Nous parvenons ensuite à l'estancia de Las Hijas, en hommage aux filles du premier propriétaire. En 1935, l'Etat concédait d'immenses terres pour l'installation de colons. La famille actuelle est d'origine écossaise. Elle possède 250 vaches et 1000 moutons sur les 10 000 m² de son terrain. Patricio et Esteban, 2 des 4 fils de la maison, prennent le temps de nous initier à leur mode de vie. Le troupeau n'est pas destiné à la production de lait mais plutôt de viande. Pour une vache, il faut compter 10 hectares de terrain tandis qu'un mouton n'en réclame que 3. Etant donné sa superficie, le bétail est laissé à l'extérieur toute l'année et n'est jamais rentré sauf pour la tonte. Depuis peu, les attaques de chiens errants se multiplient et causent de sérieux dégâts. Il s'agit de chiens des villes, abandonnés, qui se reproduisent en liberté et attaquent les troupeaux. Une autre difficulté est la météo qui peut nuire sérieusement au travail des éleveurs. En 1985, 30% du cheptel de moutons et 100% des agneaux furent retrouvés morts de froid après deux vagues d'une terrible tempête de neige. Du fait de ces deux difficultés, Patricio et Esteban ont décidé de privilégier le gros bétail (vaches) au petit (moutons).
Nous assistons ensuite à une démonstration de regroupement du troupeau de moutons. 3 chiens de race australienne partent comme des flèches jusqu'à un bosquet et, en suivant les ordres d'Esteban qu'il leur siffle, ramènent les bêtes. Un tel nombre de chiens suffit pour rabattre jusqu'à 100 moutons. Pour ce faire, 3 ans d'entraînement sont nécessaires avant une carrière s'étalant jusqu'à l'âge de 12 ans puis une retraite bien méritée.
Le troupeau est alors regroupé dans l'enclos. Il faut savoir que les mâles et les femelles sont séparés en général et ne sont regroupés qu'en vue de la mise bas en octobre. En dehors de cette période, le climat serait trop rude autrement. En Argentine, les agneaux sont ensuite tués pour Noël et non pour Pâques. Pour séparer le troupeau, on utilise la manga : les moutons passent les uns derrière les autres dans un étroit corridor et une porte battante les répartie dans l'enclos de droite ou celui de gauche.
Les moutons peuvent être de deux races : Corriedale que l'on reconnaît à leur nez noir et Merinos qui ont le nez rouge. Les seconds fournissent de la laine de meilleure qualité. Le Merinos est originaire de Nouvelle-Zélande tandis que le Corriedale est obtenu par un croisement. Ce dernier est dépourvu de corne ou alors elles peuvent être asymétriques.
Au sujet de la tonte, c'est le seul autre moment (avec la reproduction) où les animaux sont regroupés et même rentrés. Dès la veille, ils sont enfermés à l'intérieur pour que leur toison ait le temps de sécher. Pour les tondre, la famille fait appel à de la main d'oeuvre spécialisée.
La laine est ensuite triée, compactée en balles de 200kg puis vendue en Chine où elle est manufacturée avant de finir sur le marché européen. Le kilo de laine d'un Corriedale est vendu à 1€ contre 5€ pour le Merinos.
Enfin, l'outillage de tonte et de compactage est originaire d'Angleterre comme nous le verrons dans les autres estancias. Dans cette estancia, il date de 1935.
En sortant du hangar de tonte, P. joue de malchance, une marche en bois usée cédant à son passage. Résultat : la fin de son voyage se voit amputer de tout ce qui est marche.
Nous bénéficions ensuite d'un peu de temps libre. Nous aurions dû nous promener à cheval dans l'estancia à cette occasion mais Lorena nous a avertis plus tôt au cours de la journée, que celle-ci n'en possédait que deux. Ce n'est donc que partie remise et il faut avouer que cela valait la peine d'attendre quelques jours supplémentaires quand on connaît le cadre dans lequel nous avons ensuite évolué. Et de toute façon, qu'importe de respecter au pied de la lettre le "Sacro-Saint Programme" ? Une des raisons de voyager n'est-elle pas de s'affranchir de la routine de la vie quotidienne et de l'emprise du temps sur chacune de nos actions ? Alors laissons pour une fois l'imprévu décider et cessons de pinailler sur des broutilles !
Pendant ces quelques minutes d'intermède, une partie d'entre nous se dirige vers un bâtiment à proximité de notre logis. Y gisent des dépouilles de castors qui serviront à nourrir les chiens. Par curiosité, je touche la peau de celui qui n'a pas encore été écorché. Elle est vraiment soyeuse !
Nous nous rassemblons ensuite pour rendre visite à nos hôtes. Richard nous accueille pour partager un asado. Il s'agit d'une viande -en l'occurrence du mouton- cuite sur une parrilla (à la braise). Ce soir, les morceaux sont disposés a la criolla c'est-à-dire sur des pieux et en position verticale. La cuisson est lente mais la viande n'est pas brûlée : il faut compter 2h pour un asado de 12kg.
J'aborde ensuite la conversation avec Richard au sujet de la boina, le béret qu'il porte sur la tête. Je lui explique que je viens d'une région où le béret est également un couvre-chef traditionnel. En retour, il me raconte que beaucoup de basques ont émigré en Patagonie et qu'ils occupent plus fréquemment la position de propriétaires d'estancia que d'exploitants. Le plus souvent, l'estancia peut fonctionner sur l'année avec une seule famille. Celle-ci recrute des peones, une main d'oeuvre saisonnière, lorsque le travail l'exige (tonte des moutons par exemple).
Nous pouvons alors goûter notre premier vrai asado fait maison. La viande est bien sûr délicieuse et savoureuse mais je reste convaincu à présent de la supériorité de la viande ouzbèke dont le goût était encore plus prononcé et complexe.
Je termine pour ma part la soirée sur une devinette de la femme de Richard : pourquoi un grand numéro figure-t-il sur le toit des estancias ? En fait, il peut s'agir tantôt d'un numéro, tantôt du nom de la propriété. Leur position sur le toit permet aux petits avions de s'orienter plus commodément dans un paysage sans repère et presque sans fin.
votre commentaire -
Mercredi 23 mars
Voilà un an jour pour jour, je fêtais mon anniversaire au sommet du Thorung La au Népal. Cette année, ce sera en traversant la Terre de Feu et le Détroit de Magellan puis en ralliant le Chili. Il ne m'en faut pas plus pour être heureux de ma journée avant même qu'elle ne commence. Et elle débute une nouvelle fois aux aurores car nous devons être à Rio Grande, à 70km de l'estancia Las Hijas, pour 8h30.
Nous quittons nos hôtes qui nous ont si gentiment accueillis et initiés à leur mode de vie et filons à travers la nuit en direction de la ville. Du côté de Punta Maria, nous assistons au lever de l'astre solaire sur l'Atlantique.
Parvenus dans l'"autre" grande ville de la Terre de Feu, nous quittons Daniel qui nous accompagnait depuis Ushuaia. Lui file immédiatement sur son "bout du monde" tandis que nous nous apprêtons à prendre un bus de ligne à destination de Punta Arenas. Celui-ci présente un pare-brise impressionnant protégé par un fin grillage. On va être attaqué par des guanacos ? Non, à priori c'est pour éviter que les projections de pierres ne fissurent le pare-brise lorsque nous arriverons sur la piste.
La compagnie Techni-Austral offre une prestation de qualité : distribution de croissants et de café dès le départ puis, au cours du voyage, sandwiches et sucreries. Un film est également projeté sur un écran plat. Mais j'avoue ne pas y avoir prêté attention car je ne suis pas venu en Argentine pour voir la télé, déjà que je ne la regarde quasiment pas en France !
Le voyage va durer quasiment toute la journée. Lorena profite des premiers instants pour répondre à quelques questions sur la vie professionnelle dans le pays. La semaine de travail dure 40h. Le taux de chômage est d'environ 11% en Argentine et de 13% au Chili. Le salaire moyen s'élève à 400€. La retraite concerne les femmes à partir de 60 ans, les hommes dès 65 ans et les métiers pénibles à 55 ans. Une pension de retraite est ensuite versée aux anciens actifs.
Puis chacun est libre de vaquer à ses occupations. La solution de facilité serait de s'accorder un petit somme pour rattraper le retard de sommeil. Personnellement, je n'en ai pas et je n'ai pas fait tant de kilomètres pour dormir dans un bus argentin. Je me poste donc devant la vitre et regarde le paysage défiler, une autre pellicule en quelque sorte mais cette fois-ci le scénario est bien plus réel et captivant. A ne pas perdre une miette, je parviendrai à distinguer une évolution de l'environnement au fil de la journée alors qu'il serait bien plus tentant de déclarer que la steppe (ou la pampa) est monotone et uniforme. Comme le dis si bien William Henry Hudson, ornithologue et écrivain argentin d'origine britannique : "Sans doute ne sommes-nous pas tous affectés au même degré dans la solitude par la nature sauvage. [...] [Certains] ont leurs instincts plus près de la surface et sont profondément émus par la nature dans n'importe quel site [...]". Je m'efforce pour ma part d'être de ceux-là, de ces personnes qui regardent tout avec un oeil curieux, prêtes à accorder de l'importance à la moindre nuance qui vient rompre cette monotonie. C'est grâce à cet état d'esprit que ce trajet n'a pas été aussi interminable que cela dans ma tête (un peu plus au niveau des jambes ...).
La pluie s'abat sur nous pendant le début du trajet. Cela s'en ressent sur l'environnement qui présente des teintes verdoyantes même si elles alternent avec la rocaille. Les précipitations doivent être régulières sur ces terres désolées.
Je profite de cette traversée de la Terre de Feu pour raconter l'origine de son nom. Lorsqu'ils arrivèrent dans les parages, Magellan et son équipage aperçurent à travers la brume matinale la lueur de nombreux feux dispersés, et, des colonnes de fumées semblaient flotter sur l'eau. La présence d'indigènes aussi bien à terre que sur les eaux explique ces phénomènes car certains indiens passant beaucoup de temps à naviguer (à l'instar des Yamanas) emportaient avec eux leur foyer à bord. A partir de cette vision, l'île, que l'on pensait être un continent à l'époque, acquit son nom.
Pour en revenir à notre circuit, l'approche du poste frontière de San Sebastian nous conduit à consommer notre panier repas de bonne heure. Il est en effet interdit de faire entrer au Chili des fruits, de la viande, des plantes vertes ou des graines. Il nous a déjà fallu remplir un questionnaire en ce sens, il y a quelques minutes. A présent nous allons passer à la douane puis à l'inspection des bagages : d'abord les bagages à main puis le bagage principal. Pendant ce temps, des fonctionnaires des services vétérinaires s'assureront dans le bus que nous n'avons rien caché.
Juste après le poste argentin, nous entrons dans un no man's land de quelques kilomètres. Il n'est pourtant pas si désert que cela car de nombreux clandestins s'y cachent : renard, flamants roses, oies cauquenes, guanacos et moutons. A ce stade là, ce n'est plus une frontière mais un gruyère ! Mais ne vous inquiétez pas, nul n'a été dénoncé aux autorités.
Les prairies refont leur apparition et les herbes se font sensiblement plus hautes dans la partie chilienne.
A l'approche du Détroit, la présence humaine s'intensifie fortement : de nombreuses estancias bordent la route et les plaines regorgent de moutons.
Enfin, signe le plus dérangeant : le retour de l'industrie avec un derrick en activité.
Nous voilà arrivés au bout de cette gigantesque île, une première page de ce voyage se tourne. Nous allons effectuer dans quelques minutes notre traversée au niveau de la Punta Delgada, un des endroits les plus étroits. Depuis la rive, on aperçoit le continent au loin. En attendant que le ferry accoste et que les véhicules embarquent, nous descendons prendre l'air et quelques photos.
Le Détroit relie les 2 plus grands océans de la planète sur 583km et une largeur comprise entre 3 et 40km. Nous embarquons à bord du Pionero pour 30 minutes de navigation et de vent rugissant (à cette lattitude, je ne sais même plus ce que l'on dit pour le vent).
A bord, F. et moi faisons la connaissance de Nicolas, douanier chilien. Il nous explique qu'il ne travaille pas dans un seul poste mais dans 5 différents et tourne tous les 15 jours. Sur place, il partage ses journées avec deux collègues seulement : un policier et un agent des services vétérinaires. Alors de temps en temps, ils passent la soirée avec leurs collègues argentins. Et leurs bâtiments sont peu confortables : ni eau courante, ni électricité. Aujourd'hui, il rentre auprès de sa famille à Punta Arenas. A sa demande, je ne présenterai pas ici sa photo. Après nous avoir fait remarquer un dauphin, nous parlons un peu de notre voyage et de sa Patagonie.
Ce bac fonctionne toute l'année, les rotations pouvant être plus ou moins fréquentes selon la saison. A proximité du littoral, nous devons remonter dans l'autobus. Coincé entre la coque du bateau et d'autres véhicules, je comprends ce que ressentirait un petit pois ou un grain de maïs au fond d'une boîte de conserve s'ils avaient une conscience. :o)
Puis vient l'heure du lâcher, la lumière du jour refait son apparition ainsi que le paysage. Comme c'est agréable ! Nous sommes revenus sur le continent sud-américain et filons à présent sur Punta Arenas vers le sud en longeant ce bras immense que nous venons de traverser.
De ce côté-ci, le paysage apparaît plus sec et les teintes verdoyantes se font jaunissantes. La présence de points d'eau (lac ou rivière) est également plus clairsemée.
Un moment plus tard nous atteignons les faubourgs de Punta Arenas où se dresse une réplique de la nef de Magellan. 117 000 personnes habitent dans ce chef-lieu de la province de Magallanes dont l'économie repose essentiellement sur le tourisme, la pêche et l'élevage.
Après avoir pris possession de nos quartiers à quelques pas de la rue principale, nous allons nous dégourdir les jambes par un petit tour au centre-ville. Les sites d'intérêt sont largement regroupés autour de la place principale : statue du navigateur portugais, église abritant la dépouille de Fagnano (qui a donné son nom au lac d'hier), municipalité et façades finement sculptées de banques.
Nous montons ensuite à un belvédère pour apprécier une vue différente de la cité avant de redescendre en bord de mer.
La journée se termine au restaurant en présence de tout le monde (enfin le groupe plus la guide restons modestes). Venu le moment du dessert, les lumières s'éteignent. Mais aujourd'hui, je sais que ce n'est pas une panne alors j'attends simplement que le gâteau arrive par derrière comme à chaque fois. La pièce est magnifique et en plus délicieuse. Une nouvelle année démarre pour moi : une année avec de nouvelles découvertes, de nouveaux horizons, de nouvelles rencontres et sûrement plein d'émotions. Puisse-t-elle être au moins aussi bonne que la précédente !
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles
Suivre le flux RSS des commentaires