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Ushuaia ou comment débuter par la fin ?
Lundi 21 mars
Aujourd'hui, j'ai un rendez-vous : rendez-vous avec une ville magnifiée inconsciemment par mon imaginaire. Je m'attends à retrouver le style des habitats d'Europe du Nord chatoyant de couleurs et entièrement en bois. Avant le voyage, je n'ai pas souhaité regarder de photos pour garder toute la surprise en débarquant sur place. Qu'en sera-t-il d'ici quelques heures ?
Cette journée commence tôt : à 5h, vol intérieur oblige. Nous sommes lundi matin et nous devons atteindre l'aéroport local avant les bouchons du début de semaine. Pour les vols intérieurs, on change d'aéroport : cette fois c'est Jorge Newbery pas très loin du centre-ville et en bordure de l'océan.
J'ai la chance de décrocher un hublot pour les trois heures de vol à bord de l'avion de la compagnie Air Austral. Le temps étant dégagé, je vais pouvoir m'en mettre plein les yeux. Après avoir quitté le plancher des vaches, l'avion entame un large virage au-dessus de Buenos Aires, nous permettant de mieux apprécier l'étendue de la mégalopole. Nous pouvons également distinguer très nettement l'avenue du 9 juillet, la plus large au monde avec ses 144m et sa dizaine de voies de circulation !
Le paysage devient rapidement rural avec d'immenses pâturages ou cultures tantôt délimités par une ligne d'arbre, tantôt sans séparation apparente. Les chaussées se font rectilignes sur des étendues sans borne. Eugénie nous a d'ailleurs prévenus hier qu'un des risques sur les routes argentines était l'endormissement, notamment dans l'ouest, où la longueur des lignes droites n'a d'égale que l'uniformité du paysage.
Au bout de quelques temps, nous finissons par survoler la péninsule Valdez, lieu où l'on peut assister en fin d'année calendaire à la reproduction et au passage des baleines australes et à la chasse des orques. Pas de regret pour ma part puisque ce n'est pas la saison et que l'endroit est assez isolé géographiquement des autres sites de premier plan. Le survol nous permet en outre d'avoir un aperçu assez exhaustif de sa diversité de paysages : deux grandes salines dont l'une se situe à 42m sous le niveau de la mer, deux océans de dunes, de vastes plages et de très hautes falaises ...
Encore plus au sud, la forêt refait son apparition dans un paysage vallonné. Rapidement, un immense bras de mer coupe la terre en deux : nous survolons le Détroit de Magellan et quittons le continent américain pour entrer en Terre de Feu. Autant de noms qui là encore ont une connotation magique dans mon esprit. J'étais loin de m'imaginer il y a quelques mois alors que je lisais le récit de Pigafetta sur le premier tour du monde que d'ici si peu de temps, je pourrais parcourir du regard les mêmes étendues sauvages que ces marins-explorateurs émérites. Et maintenant, j'y suis !
Ce déplacement aérien se termine par le survol d'Ushuaia puis de sa baie. Terre et eau s'y entremêlent et l'automne y attaque la métamorphose de l'environnement.
Etrange que de commencer ce voyage par la fin, bout de la terre et de la route, confins d'un pays de plus de 3000km de long. Et c'est de là que nous partons pour rallier notre point de départ d'ici une dizaine de jours : Buenos Aires. Nous sommes en quelques sortes dans une sorte de pellicule déroulée à l'envers où vont se succéder les longues lignes asphaltées, la culture gaucho, la pampa, les Parcs Nationaux et les glaciers mais aussi de belles rencontres. La ligne de départ est juste là, il suffit simplement de faire un seul pas pour sortir de l'avion et fouler cette terre tant mythifiée.
A la sortie de l'avion justement, nous faisons connaissance avec Lorena, la personne chargée de nous faire découvrir les terres patagonnes. Elle est accompagnée de Patricia, une guide locale et de Daniel, un des trois chauffeurs les plus attachants du voyage à mes yeux.
La ville d'Ushuaia est blottie au pied de hauts reliefs et surplombée par le glacier Martial (pour les fans du genre, c'est là que s'est tenue l'arrivée de Pékin Express il y a un an). Au dernier recensement, en octobre 2010, elle comptait un peu moins de 60 000 habitants. Mais nul ne peut parier sur une telle taille en balayant la ville du regard, et pour cause puisque de nombreux vallons cachent une partie de la cité aux yeux des touristes y débarquant. En langage indigène, Ushuaia signifie "baie pénétrant vers l'ouest". Aujourd'hui, l'activité économique repose sur une poignée de secteurs : l'administration publique est le principal pourvoyeur d'emplois devant le tourisme saisonnier entre septembre et mars. Le port est également actif premièrement, pour la pêche de gros notamment le centolla ou crabe royal et le merluza negra, ensuite, pour les croisières qui partent vers l'Antarctique et enfin, pour le transit de marchandises : les containers en provenance d'un océan y sont déposés avant de partir sur l'autre à bord de nouveaux navires.
Nous gagnons alors le centre-ville en 10 minutes. Ushuaia ressemble bien aux villes nordiques mais ses maisons présentent divers styles architecturaux : de la maison de bois à celle de tôle ou de brique. La vie touristique s'organise essentiellement autour d'un seul axe : la calle San Martin où se bousculent les magasins d'équipements de montagne et de trek ou de photographie et vidéo. Le plan de la ville est en damier; par contre, les rues présentent un point commun avec San Francisco dans la mesure où elles sont fortement pentues.
Le repas de midi est une fois de plus libre. Nous optons donc pour un tenedor libre c'est-à-dire un buffet libre-service. Etant le seul à maîtriser modestement la langue de Cervantès après 5 ans sans pratique ou si peu, j'assure la traduction avec le garçon pour expliquer le principe, les plats, le choix des desserts et des boissons. Pourtant, le résultat est très inattendu : pour avoir "amené un groupe", le patron m'offre le repas. J'avoue être encore perplexe devant un tel geste de générosité qui me surprend à chaque fois.
L'après-midi commence par une mission des plus touristiques : aller à l'office du tourisme recueillir le fameux tampon de la ville sur le passeport. Le choix est cornélien entre les 6 modèles différents. Ayant une douanière parmi nous, nous inaugurons également une nouvelle façon de faire du tourisme : nous nous rendons à la douane passer le bonjour à deux fonctionnaires déjà venues en France. Etant à l'aéroport et non en ville, nous prenons rendez-vous avec elles pour 19h. Ce sera hélas un lapin pour cette première mais nous retenterons ailleurs ...
A 15h, nous avons rendez-vous dans le port pour une croisière dans la baie. En quittant la cité, nous débutons la promenade par une remontée dans le temps en découvrant le bagne d'Ushuaia. Aujourd'hui devenu un musée, c'est autour de lui que s'est constituée la ville. Mais j'y reviendrai plus longuement un peu plus loin.
En gagnant le large, la vue se fait plus globale. Au-dessus de la ville, on aperçoit bien la masse blanche du Glacier Martial. Celui-ci est pourtant distant de 7 km de la cité. Par ailleurs, durant l'hiver austral, une piste de ski est aménagée sur ses flancs un peu en aval.
Le cours d'eau sur lequel nous progressons se nomme Canal de Beagle. Il fut découvert par Fitz Roy à bord du navire Beagle, nom référant à la race des chiens de la Reine d'Angleterre. A bord de ce bateau, un des naturalistes les plus célèbres : Darwin. Il suit la voie tracée par les expéditions de grandes envergures de Cook et Bougainville. Quant au Canal, il sépare Argentine au nord du Chili au sud. Une fausse rumeur déclare que la ville la plus australe au monde est Ushuaia. Elle est cependant erronée puisque la cité chilienne de Puerto William est encore plus australe. De là où nous sommes, le Pacifique est à 120km à l'ouest et l'Atlantique à 80km à l'est. Enfin, le Cap Horn se trouve encore à 150km au sud. Une famille de l'armée chilienne y est à demeure toute l'année.
Le temps couvert aujourd'hui ne permet pas d'apprécier toute la majesté du paysage, les sommets s'estompant dans les nuages. Je retrouve néanmoins la beauté des fjords scandinaves.
Rapidement nous marquons une escale sur une île où subsistent des traces de présence indigène. Il y a un peu moins de 10 000 ans, le peuple Yamanas prenait possession de la région. Il vivait essentiellement sur l'eau à bord de pirogues et se nourrissait de coquillages et de moules géantes qu'il récoltait en plongeant. Aujourd'hui, on retrouve en plusieurs lieux des fosses avec de nombreuses coquilles ou coquillages, témoignages de leur passage.
Pour ma part, je débute également ma découverte des espèces de lichens dont la variété ne cessera de m'étonner au fil du voyage.
Nous reprenons ensuite la mer jusqu'à l'île des Oiseaux, plutôt un îlot à la densité de peuplement impressionnante. Les cormorans y sont majoritaires mais partagent l'espace avec quelques mouettes et lions de mer.
Un peu plus loin, l'île des Loups de mer (est-ce une mauvaise traduction officielle de l'espagnol ?) présente une diversité de population comparable. Au loin, le temps se gâte et l'horizon se bouche. Ushuaia disparaît peu à peu dans les nuages. D'ici peu, nous allons pouvoir tester l'instabilité du temps patagon.
Enfin, nous achevons la promenade par le Phare des Eclaireurs, ultime sentinelle argentine au sud-est de la baie d'Ushuaia. Du haut de ses 11 mètres, il avertit les navires de la présence de barres rocheuses à cet emplacement.
Sur le trajet qui nous ramène au port, le grain éclate et tout aussi promptement est balayé par le vent. La fin de journée s'annonce à présent dégagée. Le phénomène pluvieux n'aura duré qu'une grosse dizaine de minutes.
Pour se remettre de la morsure du vent, nous nous réfugions dans un café déguster un chocolat offert par la compagnie de navigation. Puis, comme la veille, nous nous séparons tous qui pour aller se reposer, d'autres pour faire quelques boutiques, F. et moi pour aller voir en vain les douanières. Après avoir compris que notre première tentative était infructueuse, nous avons déambulé un peu dans les rues constatant une fois de plus la diversité des styles architecturaux. Personnellement, j'étais loin de m'imaginer un usage aussi répandu de la tôle dans les constructions. Mon fallacieux imaginaire me laissait davantage penser à un plus large recours au bois et je dois avouer que je suis un peu déçu par cet aspect.
Notre promenade se termine devant un panneau kilométrique indiquant la distance entre Ushuaia et de nombreuses villes de la planète. Rien de tel pour se remémorer s'il en était encore besoin que nous sommes ici au bout du monde.
La journée s'achève autour d'une table à déguster un des mets régionaux dont j'ai parlé plus haut : le centolla ou crabe royal. Il s'agit en fait d'une araignée de mer au format XXL. Mais, n'ayant pas l'habitude d'en manger, je ne saurais dire s'il y avait une différence de goût.
Tags : péninsule valdez, ushuaia, canal de beagle, phare des eclaireurs
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