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Retour sur le continent par le Détroit de Magellan
Mercredi 23 mars
Voilà un an jour pour jour, je fêtais mon anniversaire au sommet du Thorung La au Népal. Cette année, ce sera en traversant la Terre de Feu et le Détroit de Magellan puis en ralliant le Chili. Il ne m'en faut pas plus pour être heureux de ma journée avant même qu'elle ne commence. Et elle débute une nouvelle fois aux aurores car nous devons être à Rio Grande, à 70km de l'estancia Las Hijas, pour 8h30.
Nous quittons nos hôtes qui nous ont si gentiment accueillis et initiés à leur mode de vie et filons à travers la nuit en direction de la ville. Du côté de Punta Maria, nous assistons au lever de l'astre solaire sur l'Atlantique.
Parvenus dans l'"autre" grande ville de la Terre de Feu, nous quittons Daniel qui nous accompagnait depuis Ushuaia. Lui file immédiatement sur son "bout du monde" tandis que nous nous apprêtons à prendre un bus de ligne à destination de Punta Arenas. Celui-ci présente un pare-brise impressionnant protégé par un fin grillage. On va être attaqué par des guanacos ? Non, à priori c'est pour éviter que les projections de pierres ne fissurent le pare-brise lorsque nous arriverons sur la piste.
La compagnie Techni-Austral offre une prestation de qualité : distribution de croissants et de café dès le départ puis, au cours du voyage, sandwiches et sucreries. Un film est également projeté sur un écran plat. Mais j'avoue ne pas y avoir prêté attention car je ne suis pas venu en Argentine pour voir la télé, déjà que je ne la regarde quasiment pas en France !
Le voyage va durer quasiment toute la journée. Lorena profite des premiers instants pour répondre à quelques questions sur la vie professionnelle dans le pays. La semaine de travail dure 40h. Le taux de chômage est d'environ 11% en Argentine et de 13% au Chili. Le salaire moyen s'élève à 400€. La retraite concerne les femmes à partir de 60 ans, les hommes dès 65 ans et les métiers pénibles à 55 ans. Une pension de retraite est ensuite versée aux anciens actifs.
Puis chacun est libre de vaquer à ses occupations. La solution de facilité serait de s'accorder un petit somme pour rattraper le retard de sommeil. Personnellement, je n'en ai pas et je n'ai pas fait tant de kilomètres pour dormir dans un bus argentin. Je me poste donc devant la vitre et regarde le paysage défiler, une autre pellicule en quelque sorte mais cette fois-ci le scénario est bien plus réel et captivant. A ne pas perdre une miette, je parviendrai à distinguer une évolution de l'environnement au fil de la journée alors qu'il serait bien plus tentant de déclarer que la steppe (ou la pampa) est monotone et uniforme. Comme le dis si bien William Henry Hudson, ornithologue et écrivain argentin d'origine britannique : "Sans doute ne sommes-nous pas tous affectés au même degré dans la solitude par la nature sauvage. [...] [Certains] ont leurs instincts plus près de la surface et sont profondément émus par la nature dans n'importe quel site [...]". Je m'efforce pour ma part d'être de ceux-là, de ces personnes qui regardent tout avec un oeil curieux, prêtes à accorder de l'importance à la moindre nuance qui vient rompre cette monotonie. C'est grâce à cet état d'esprit que ce trajet n'a pas été aussi interminable que cela dans ma tête (un peu plus au niveau des jambes ...).
La pluie s'abat sur nous pendant le début du trajet. Cela s'en ressent sur l'environnement qui présente des teintes verdoyantes même si elles alternent avec la rocaille. Les précipitations doivent être régulières sur ces terres désolées.
Je profite de cette traversée de la Terre de Feu pour raconter l'origine de son nom. Lorsqu'ils arrivèrent dans les parages, Magellan et son équipage aperçurent à travers la brume matinale la lueur de nombreux feux dispersés, et, des colonnes de fumées semblaient flotter sur l'eau. La présence d'indigènes aussi bien à terre que sur les eaux explique ces phénomènes car certains indiens passant beaucoup de temps à naviguer (à l'instar des Yamanas) emportaient avec eux leur foyer à bord. A partir de cette vision, l'île, que l'on pensait être un continent à l'époque, acquit son nom.
Pour en revenir à notre circuit, l'approche du poste frontière de San Sebastian nous conduit à consommer notre panier repas de bonne heure. Il est en effet interdit de faire entrer au Chili des fruits, de la viande, des plantes vertes ou des graines. Il nous a déjà fallu remplir un questionnaire en ce sens, il y a quelques minutes. A présent nous allons passer à la douane puis à l'inspection des bagages : d'abord les bagages à main puis le bagage principal. Pendant ce temps, des fonctionnaires des services vétérinaires s'assureront dans le bus que nous n'avons rien caché.
Juste après le poste argentin, nous entrons dans un no man's land de quelques kilomètres. Il n'est pourtant pas si désert que cela car de nombreux clandestins s'y cachent : renard, flamants roses, oies cauquenes, guanacos et moutons. A ce stade là, ce n'est plus une frontière mais un gruyère ! Mais ne vous inquiétez pas, nul n'a été dénoncé aux autorités.
Les prairies refont leur apparition et les herbes se font sensiblement plus hautes dans la partie chilienne.
A l'approche du Détroit, la présence humaine s'intensifie fortement : de nombreuses estancias bordent la route et les plaines regorgent de moutons.
Enfin, signe le plus dérangeant : le retour de l'industrie avec un derrick en activité.
Nous voilà arrivés au bout de cette gigantesque île, une première page de ce voyage se tourne. Nous allons effectuer dans quelques minutes notre traversée au niveau de la Punta Delgada, un des endroits les plus étroits. Depuis la rive, on aperçoit le continent au loin. En attendant que le ferry accoste et que les véhicules embarquent, nous descendons prendre l'air et quelques photos.
Le Détroit relie les 2 plus grands océans de la planète sur 583km et une largeur comprise entre 3 et 40km. Nous embarquons à bord du Pionero pour 30 minutes de navigation et de vent rugissant (à cette lattitude, je ne sais même plus ce que l'on dit pour le vent).
A bord, F. et moi faisons la connaissance de Nicolas, douanier chilien. Il nous explique qu'il ne travaille pas dans un seul poste mais dans 5 différents et tourne tous les 15 jours. Sur place, il partage ses journées avec deux collègues seulement : un policier et un agent des services vétérinaires. Alors de temps en temps, ils passent la soirée avec leurs collègues argentins. Et leurs bâtiments sont peu confortables : ni eau courante, ni électricité. Aujourd'hui, il rentre auprès de sa famille à Punta Arenas. A sa demande, je ne présenterai pas ici sa photo. Après nous avoir fait remarquer un dauphin, nous parlons un peu de notre voyage et de sa Patagonie.
Ce bac fonctionne toute l'année, les rotations pouvant être plus ou moins fréquentes selon la saison. A proximité du littoral, nous devons remonter dans l'autobus. Coincé entre la coque du bateau et d'autres véhicules, je comprends ce que ressentirait un petit pois ou un grain de maïs au fond d'une boîte de conserve s'ils avaient une conscience. :o)
Puis vient l'heure du lâcher, la lumière du jour refait son apparition ainsi que le paysage. Comme c'est agréable ! Nous sommes revenus sur le continent sud-américain et filons à présent sur Punta Arenas vers le sud en longeant ce bras immense que nous venons de traverser.
De ce côté-ci, le paysage apparaît plus sec et les teintes verdoyantes se font jaunissantes. La présence de points d'eau (lac ou rivière) est également plus clairsemée.
Un moment plus tard nous atteignons les faubourgs de Punta Arenas où se dresse une réplique de la nef de Magellan. 117 000 personnes habitent dans ce chef-lieu de la province de Magallanes dont l'économie repose essentiellement sur le tourisme, la pêche et l'élevage.
Après avoir pris possession de nos quartiers à quelques pas de la rue principale, nous allons nous dégourdir les jambes par un petit tour au centre-ville. Les sites d'intérêt sont largement regroupés autour de la place principale : statue du navigateur portugais, église abritant la dépouille de Fagnano (qui a donné son nom au lac d'hier), municipalité et façades finement sculptées de banques.
Nous montons ensuite à un belvédère pour apprécier une vue différente de la cité avant de redescendre en bord de mer.
La journée se termine au restaurant en présence de tout le monde (enfin le groupe plus la guide restons modestes). Venu le moment du dessert, les lumières s'éteignent. Mais aujourd'hui, je sais que ce n'est pas une panne alors j'attends simplement que le gâteau arrive par derrière comme à chaque fois. La pièce est magnifique et en plus délicieuse. Une nouvelle année démarre pour moi : une année avec de nouvelles découvertes, de nouveaux horizons, de nouvelles rencontres et sûrement plein d'émotions. Puisse-t-elle être au moins aussi bonne que la précédente !
Tags : rio grande, terre de feu, détroit de magellan, punta arenas
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