• Lorsque le ciel se couvre et que le tonnerre gronde ...

    Vendredi 25 mars 2011

    S'il était une seule journée que je voudrais partiellement oublier voire ne jamais avoir vécue c'est bien celle-là. Les mots m'auront au final plus blessé que les faits et je n'étais pourtant pas loin de jeter l'éponge.

    En se levant ce matin, il pleut. Le vent a beaucoup perturbé le sommeil d'une partie du groupe tandis que j'ai parfaitement dormi. Je suis frais et dispo pour cette première journée de marche où je vais enfin pouvoir me dépenser un peu. Pour le moment, le Cerro Rotundo se cache partiellement derrière un voile laiteux.

    Nous laissons à regret derrière nous les trois personnes du groupe qui ne peuvent pas nous suivre. En ces lieux reculés, rares sont les possibilités d'activités annexes même si une bonne volonté en cherchait. Pour tuer le temps, ils ne peuvent donc que marcher un petit peu et attendre notre retour en début d'après-midi en lisant, en écoutant de la musique ...

    Nous partons donc à 7 accompagnés de Lorena, Sebastian notre hôte et Jose, notre guide local pour les prochains jours. J'aurai l'occasion de le présenter plus en détail par la suite. Nous longeons le bord de l'eau et marchons sur un rivage de coquillages. A quelques dizaines de mètres de là, nous entrons dans la forêt et la galère commence : le chemin n'est plus que boue. Un seul pas mal placé et la chaussure est inondée de fange. Un peu de malchance et c'est le tour du genou ! Aucune voie alternative n'est envisageable, l'eau étant trop haute.

    Rivage de l'Ultima Esperanza

    Avec mes grandes enjambées, je parviens tant bien que mal à m'en sortir un bon moment. Mais un autre facteur est à prendre en compte : la flore environnante. C'est à elle que je me cramponne pour garder l'équilibre ou pour le rétablir. Cependant, elle est de nature plutôt hostile, et, une fois sur deux, je me fais piquer ou griffer la peau par de belles épines en tentant de m'y agripper. La randonnée devient une traversée interminable d'un marécage car nous ne savons pas en combien de temps nous allons le traverser.

    Dans les arbustes épineux

    Ma vigilance se relâche et je finis comme les autres les pieds trempes et marinant dans la boue. Après 1h30 de ce régime, je commence à en avoir ras-le-bol et à m'interroger sur l'intérêt de continuer en ne connaissant pas le but de la balade car, si avancer vers un but m'est facile, progresser sans objectif me rend la marche pénible en général.

    Et c'est là, juste avant que le moral et le désir d'avancer ne me lâchent vraiment que la situation va subitement être désamorcée dans mon cas. A l'occasion d'une zone dégagée, nous nous regroupons et constatons que nous en sommes tous au même point de découragement ou d'exaspération selon les personnes. Nous voyons en effet l'estancia à quelques centaines de mètres à peine malgré la durée de notre progression dans le sous-bois.

    Le rivage marécageux

    Nous nous tournons donc vers Lorena pour nous enquérir de la finalité du trajet et décider si oui ou non nous rebroussons immédiatement chemin. Rien que d'entendre la formulation de cette question venant d'une autre bouche que la mienne me permet de me rendre compte à quel point je commençais à faire fausse route et me remotive instantanément.  Je réalise qu'il serait dommage d'abandonner maintenant après ce que nous venons d'accomplir. Je ne viens pas de vivre ce calvaire pour rebrousser chemin, donc, en mon for intérieur, je souhaiterais vraiment continuer à ce moment-là.

    Selon Lorena, le tronçon pénible s'achevant maintenant très rapidement, tout le monde convient de poursuivre les efforts. Mais le mal est fait et quelques esprits échauffés (voire absents de la balade) vont alimenter des rancoeurs qui exploseront dans quelques heures. En quoi Lorena est-elle cependant responsable ? Etait-elle seulement au courant  de l'état du terrain ? Je ne pense pas. Pas plus que Jose ou Sebastian. Si l'on prend un peu de recul, on peut se rendre compte que personne n'est venu dans le coin ces derniers jours puisque Lorena était avec nous, José à Puerto Natales et Sebastian en train de marquer les veaux à l'estancia (cf article précédent). Et comme nous l'avons appris hier soir lors de la conversation autour de l'asado, les gauchos laissent le bétail errer librement la plupart de l'année. Au lieu de rejeter les torts sur l'autre, peut-être aurait-il fallu nous prendre en main et manifester plus tôt notre volonté de retour, non ?

    Nous finissons effectivement par sortir du marécage et nous engouffrer dans les bois.

    Entrée dans le bois Etre différent

    Jose a l'oeil aux aguets et détecte sans cesse des curiosités : rhubarbe, calafate (petite baie), fraises du diable, traces de pumas ...

    Plante Fleur Fraises du diable

    Nous atteignons enfin la partie supérieure du relief et pouvons constater la légère couverture neigeuse que la nuit a laissée sur les sommets.

    Sommet enneigé

    Un peu plus haut, nous aboutissons à un promontoire d'où nous bénéficions d'une vue panoramique sur les fjords environnants.

    Promontoire Promontoire Seno Obstuccion Ultima Esperanza

    Nous déjeunons au bord de la paroi verticale. D'un côté s'étend le Seno Obstuccion, de l'autre l'Ultima Esperanza. J'apprécie ce cadre.

    Pique-nique en bord de falaise Pause maté

    Au loin, une averse avance sur nous mais trop rapidement pour que nous ayons le temps de nous y soustraire bien que nous ayons commencé à rebrousser chemin.

    Avant de rentrer de nouveau dans le marécage, nous surprenons quelques flamants roses et rapaces.

    Flamants roses Faucon

    La traversée en sens inverse de la partie pénible ne suscite pas chez moi le même découragement car à présent, je suis conscient de ce qui nous attend et suis satisfait de ce que j'ai vu en haut.

    De retour à l'estancia, la tension est palpable, des critiques désobligeantes fusent. Je sors à l'extérieur plutôt que d'entendre les plaintes de certain(e)s. Je ne partage pas leur opinion et serais incapable de les raisonner si je m'y mettais alors à quoi bon rester surtout lorsque certains arguments sont injustes ? Peut-être faut-il se poser des questions sur la finalité des voyages d'aventure lorsqu'on n'accepte pas l'imprévu ni les adaptations du programme ? Je ne préfère pas non plus m'exprimer à ce moment-là pour préserver un semblant d'unité dans le groupe. Je rejoins donc Jose et lui explique ce qui se trame à l'intérieur.

    Nous démontons ensuite les tentes à quelques-uns. J'apprends à cette occasion-là qu'un débrief se tiendra ce soir à Puerto Natales en présence de la Directrice de l'agence locale pour désamorcer les tensions. Nous sommes tombés si bas que j'en suis abasourdi. Pas étonnant que les français aient une si mauvaise image dans tant de pays ! Au moment de charger la remorque, je m'excuse en espagnol (puisque personne d'autre dans le groupe ne peut me comprendre)  auprès de Lorena, Sebastian et Jose de ce qui a été dit en leur expliquant que nous ne sommes pas tous comme ça. Tous trois me rassurent : le groupe précédent a apprécié grandement le voyage.

    Lors du retour en 4X4 vers Puerto Natales, je parle de la situation avec P. et D. qui n'ont pas été totalement incorrects eux. Mais nous ne parviendrons quand même pas à envisager les événements de la même façon. Je laisse tomber et partagerai mes sentiments le lendemain avec le chauffeur qui nous conduira vers Puerto Consuelo.

    Malheureusement, je subodorais il y a quelques jours déjà lors d'un mail à mes proches cette différence de conception de certains membres du groupe concernant la définition, je dirais même l'essence, d'un voyage d'aventure. Je ne pensais pas que les faits me donneraient raison à ce point.

    Nous marquons quelques instants une halte au port, à l'entrée de la ville.

    Puerto Natales - Port Puerto Natales - Port

    Puis, Sophie nous accueille à l'hôtel pour le grand déballage. Apparemment, la fronde ne touche pas que les pays du Maghreb et du Moyen-Orient en ce printemps. Mais il faudrait parfois prendre un peu de recul sur ses premières impressions. Lorsqu'on est déçu de ce que l'on a vu depuis quelques jours, doit-on blesser quelqu'un en l'inculpant ? Je comprends très bien la déception car j'ai ressenti exactement la même chose : j'ai eu tort d'idéaliser Ushuaia et la Terre de Feu. Certes c'est joli mais pas aussi extraordinaire que je me l'imaginais. Mais qui est responsable de cet état des choses ? Pas Lorena. Nous ! Et sur le non-respect de notre sacro-saint Programme, nous avons été consultés il y a quelques jours sur le report du cheval pour en faire tous ensemble. Personne ne s'est opposé dans la Baie de Lapataia ou quand Daniel nous amenait à l'estancia de Las Hijas. Alors pourquoi ressortir tout cela avec acrimonie ? Je ne souhaite pas m'étendre davantage, d'autres arguments viendront au fil des lignes ou ont été exposés dans cet article pour montrer qu'ils avaient tort sur la plupart des points.

      

    Face à des propos si désobligeants, je suis vraiment affligé et ai besoin d'aller prendre l'air pour me changer les idées. Cela tombe bien : ce soir, chacun vaque à ses occupations de son côté. Je gagne d'abord le bord du fjord où les couleurs sont grandioses avec ce ciel menaçant.

    Ciel menaçant sur l'Ultima Esperanza Ciel menaçant sur l'Ultima Esperanza

    Je poursuis le long de l'eau jusqu'à une ancienne jetée prise d'assaut par les mouettes.

    Jetée sur l'Ultima Esperanza

    Puis, je traverse la ville patchwork du sud au nord.

    Aujourd'hui aura servi à démontrer que voyager ce n'est pas seulement être un étranger sous d'autres latitudes où personne n'attend rien de nous mais où nous, nous sommes en droit d'avoir des exigences. Plus que de s'ouvrir sur l'autre, le voyage doit permettre de s'ouvrir à et vers l'autre, de tolérer et d'accepter nos différences, la culture de l'autre, sa façon d'être et d'agir à défaut de les comprendre. Pour nous tous, le chemin à parcourir est encore long quand on pense à ce 25 mars et d'aucuns ne le trouveront probablement jamais.

    Je terminerai sur une phrase de Nicolas Bouvier : "On se croise en chemin sans toujours se comprendre, et parfois le voyageur s'impatiente; mais il y a beaucoup d'égoïsme dans cette impatience-là." A méditer !

      


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